Ici on n’apprendra rien sur l’histoire de l’art, même pas via des anecdotes ou du fun. Ce ne sera pas apprenant. Pas de texte chiadé, pas de mise en page lissée. Il n’y aura pas de belles images pour agrémenter un discours calibré - déjà lu/digéré/recraché/oublié. Ce ne sera pas ma thèse en 180 secondes. Pas d’empouvoirement ni de citations inspirantes. Tant pis. Ce sera chaotique, sans doute illisible.
Ce ne sera pas facile, ce sera morose.
Cette newsletter aimerait s’inscrire dans le temps long, montrer des choses, elle est subjective évidemment, comme les histoires de l’art. Elle parlera de mémoire, de ce sujet “à la mode” [sic] que sont les études de genre lorsqu’elles entrent en coalition avec l’histoire de l’art, quand les deux se frottent, se heurtent, se rencontrent, qu’est-ce que ça donne ? Il y aura aussi sans doute des incursions dans d’autres thématiques qui me stimulent et que j’aime bien partager. On sera sans doute à rebours d’une certaine cacophonie de l’histoire de l’art médiatisée/médiatique. Je propose qu’on fasse un pas de côté par rapport aux choses attendues, aux discours téléphonés, et qu’on évite les raccourcis et autres facilités.
Par exemple, disons-le de suite : visibiliser/réhabiliter/rendre justice aux/faire la lumière sur les femmes artistes ne m’intéresse pas. Elles ne sont pas oubliées. Et les études de genre ce n’est pas que ça. Elles sont déjà visibles dans les travaux d’histoire de l’art (des fois dans les musées et sur Wikipédia) depuis des décennies, encore faut-il regarder, encourager, *financer*, et lire les travaux en cours ou achevés. Ce sont ces chantiers qui m’intéressent et surtout celles et ceux qui les font, aussi des relais seront faits ici. Nous sommes en 2021. On ne peut plus décemment écarquiller grands les yeux et se demander à l’unisson, la bouche en cœur, où sont les femmes artistes. Il s’agirait de lire et écouter ce qui est à portée d’yeux et d’oreilles.
Cette newsletter est un peu une synthèse de la veille que je fais depuis quelques années déjà. Elle sera peut-être un flop, et ce ne sera pas grave. Elle n’aura peut-être plus rien à dire au bout de deux trois envois. Elle sera peut-être lue par deux trois personnes, voire oubliée au fin fond des spams. Au pire.
à vif
cœurs
L’exposition Sophie Taeuber-Arp (1889-1943) à Bâle vient d’ouvrir. Elle partira ensuite à Londres et à New York, sans passer par la France (tristesse). Arte consacre quelques minutes à l’analyse du tableau Cercles mouvementés (1937) par Eva Reichert, conservatrice au Kunstmuseum de Bâle, ici.
aucun express
la mémoire dans les yeux
Je repensais à ce tableau de Romaine Brooks, Peter (1923-1924), en fait un portrait de Gluck, peintre aussi. Son autoportrait était le visuel de l’affiche de l’exposition de la Tate Britain Queer British Art (1861–1967) en 2018. J’ai relu l’article de Magali Lesauvage et ça m’a rappelé qu’il y avait eu quelque chose en 2017 au Brighton Museum. Sur ce sujet, voir le billet de blog de An Nguyen Ngoc, “Gluck: Art and Identity”, ici.
radar
wonder if you know
you're on my radar
Scientifique : “Élèves et maîtresses : permanences et ruptures dans l'apprentissage des artistes femmes (France, 1849-1924)”, un colloque organisé par le centre François-Georges Pariset EA 538 (Université Bordeaux Montaigne) et le musée Roybet Fould (Courbevoie) en partenariat avec le musée national Jean-Jacques Henner et le musée Rodin (Paris). Le 6 et 7 mai 2021, en ligne (inscription gratuite ici). Un programme riche qui montrera des travaux récents, pour la plupart toujours en cours, on a hâte d’y *parler* participer.
Important : le nouveau groupe de recherche Collectif l’ARQ vient d’être lancé par Marion Cazaux et Quentin Petit Dit Duhal : “Le collectif ARQ a pour objectif la production, le rassemblement et la valorisation des recherches scientifiques sur l’art et les représentations féministes et queers. Les Queer Studies étant un champ de recherche encore trop marginalisé dans le milieu scientifique français, l’ARQ vise à devenir une structure durable en lien avec les laboratoires de recherche de ses membres, afin de concrétiser la solidarité entre jeunes chercheur·se·s dans les domaines de l’Histoire de l’art et de la pratique artistique”. Une réunion se tient sur Teams le mardi 20 avril, à 18h (demain) tous les détails sur le carnet du collectif.
Replay : la Royal Society of Sculptors a mis en ligne sur sa chaine Vimeo les communications de la journée d’étude Pioneering Women Conference organisée le 10 mars 2021. Cette journée était l’occasion de faire un point sur le programme financé par le Paul Mellon Centre qui visait à enrichir les connaissances sur les sculptrices du début du XXe siècle ayant fait partie de la Royal Society of Sculptors - “Pioneering Women will use materials from the Society's own archive as well as research from other institutions, interviews with current members who either knew these sculptors or were influenced by their practice, as well as discussions with relevant writers, academics and curators”.
Musées : il y a la possibilité d’acquérir des œuvres de femmes artistes sur le marché de l’art. C’est ce que vient de faire le Petit Palais, musée des Beaux-Arts de la ville de Paris, pour la petite toile La Servante ou À la barrière d’Éva Gonzalès (1849-1883). Dans l’annonce de cet achat par préemption en vente publique, le musée nous apprend qu’une “grande rétrospective” sera consacrée en 2023 à l’artiste au Petit Palais, en collaboration avec le musée de Dieppe. Moins de Morisot, plus de Gonzalès.
Le travail : dans le cadre de sa mission au musée d’Orsay en 2020, Mathilde Leïchlé a coordonné le projet de la bourse Immersion du Labex Cap pour la valorisation des artistes femmes au musée de janvier à novembre 2020. Elle a fourni un important travail de documentation, de repérage, d’identification, et sollicité pour l’écriture de 40 notices des spécialistes, chercheurs et chercheuses, et elle en a rédigé elle-même une dizaine. Le fruit de ce travail est disponible en ligne.
Mathilde Assier propose un essai passionnant sur la formation des artistes femmes en Espagne dans le catalogue de l’exposition Invitadas. Fragmentos sobre mujeres, ideología y artes plásticas en España (1833-1931) qui a eu lieu au musée du Prado en début de cette année 2021.
Laura Mary et Roxane Rocca signent un compte-rendu percutant du livre de Marylène Pathou-Mathis, L’homme préhistorique est aussi une femme : une histoire de l’invisibilité des femmes (2020). On a envie de lire toutes les références qu’elles citent dans leur texte, notamment Engendering Archaeology: Women and Prehistory de Joan M. Gero et Margaret W. Conkey (éd.) paru en 1991. Il y a une vingtaine d’années donc.
Vient de paraitre : QueeRriser l'Esthétique, un recueil d’articles du numéro 39 de Figures de l'art, coordonné par Bernard Lafargue et Cécile Croce aux Presses Universitaires de Pau et des Pays de l'Adour (PUPPA).
chercher (sur) le feu
chercher (sur) le feu - une rubrique qui présente des travaux en cours ou achevés au croisement de l’histoire de l’art et des études de genre et d’autres disciplines. Dans les abysses des recherches enfouies, un sous-marin traque à l’aide d’un sonar les ondes inaudibles à la surface.
Blandine-Abel Delattre [M2 Histoire de l’art - recherche] a déjà à son actif un mémoire intitulé « Gabrielle Buffet-Picabia (1881-1985) : de la critique d’art à l’histoire de l’art ». Un second est en cours d’écriture sur Nina Kandinsky (1893/6-1980) et sa mission de mémoire.
“Intéressé par les femmes d’artistes, leur niveau d’implication dans la création et le quotidien de leur conjoint, leurs témoignages et le statut de la « veuve d’artiste », j’ai une fascination pour Dada et Picabia depuis le lycée; je savais que je voulais faire de la recherche là-dessus. Celui qui allait être mon futur directeur de mémoire m’a conseillé de lire le livre des sœurs Berest sur leur arrière-grand-mère (Gabriële), Gabrielle Buffet-Picabia, et à partir de là j’ai voulu travailler sur elle et plus particulièrement sur ses écrits (critiques, témoignages et poèmes). Pour Gabrielle Buffet j’ai consulté le sous-fonds à son nom à la Bibliothèque Kandinsky et divers fonds à la Bibliothèque Jacques Doucet. J’ai peu travaillé avec les musées, plutôt avec les bibliothèques. Pour Nina Kandinsky, je me contente pour le moment du sous-fonds à son nom à la Bibliothèque Kandinsky (très complet et bien rangé) et des documents disponibles sur le (tout nouveau) site du Centre Pompidou. Mon mémoire n’est pas en ligne, mais je compte en publier des « extraits » et des parties de mes recherches en cours sur mon carnet hypothèses. Twitter pour un peu de tout et de rien @EtLux828 et mail perso b.delattre828 [at] gmail [dot] com”.
Un nouveau texte sur son carnet hypothèse Ombrelles, femmes d’artistes intitulé L’Affaire du Cavalier Bleu (1960-1973) : Nina Kandinsky VS Lothar-Günther Buchheim. “Qu’est-ce que l’affaire Buchheim, autrement appelée l’affaire du Cavalier Bleu, et qu’est-ce qu’elle impliquait d’aussi grave pour que N.K. refuse le moindre prêt de sa riche collection ?”
retro-source vers le futur
parce qu’on n’a pas inventé l’eau tiède en 2021 : nos “redécouvertes” et débats actuels sont souvent des réactivations de discussions antérieures, qui étaient déjà en germe ou bien ancrées chez d’autres depuis des années.
Les artistes Germaine Richier, Dora Maar, Vieira Da Silva et Leonor Fini s’interrogent en 1952 sur la complexité de la fabrication et l’emploi de l’appellation “femmes artistes” dans l’émission Tribune des arts, elles donnent leurs avis, en fonction d’où elles parlent, et c’est à écouter ici [l’extrait de 26 minutes].
“C’est plus subtil que ça”
“Je sais que ce sont des questions qui vous énervent toutes”
merci beaucoup d’avoir pris le temps de lire,
morose morisot