Bon, déjà : bonne année 2023.
Depuis octobre que je n’ai pas écrit ici. Ça m’a manqué et en même temps j’étais trop occupée par la thèse à gagner de l’argent (Alexa play “ma petite entreprise” d’Alain Bashung) pour avoir l’esprit au calme. Ces derniers mois, je n’ai pas chômé et je ne vais pas m’en plaindre dans le contexte morose de la précarisation de la recherche en histoire de l’art.
J’ai rédigé la totalité du hors-série que L’Objet d’Art (il sort fin février) consacre à Germaine Richier (1902-1959) à l’occasion de sa rétrospective très attendue qui ouvre au Centre Pompidou le 1er mars (et passe cet été au musée Fabre de Montpellier). J’ai bassiné mon entourage - et internet - avec cette sculptrice dont j’appréciais déjà beaucoup les oeuvres et que j’aime encore plus après quelques mois à travailler dessus.
Autant rentabiliser ces heures passées sur ce sujet faire croquer en avant-première les abonné·es de cette newsletter irrégulière forcément décevante, voici donc pêle-mêle des savoirs inutiles sur Germaine Richier, c’est parti on s’accroche :
Coq sportive : « Dans son atelier, Richier porte une tenue sportive qu’envierait un champion de ski au repos. Volontiers, elle se tourne vers le poêle comme un coq qui se déplisse », René de Solier, « L’œuvre est un rendez-vous », Derrière le miroir, n° 13, 1948.
“Je suis plus sensible à un arbre calciné qu’à un pommier en fleurs”. Aucun rapport, mais Germaine Richier s’est exprimée sur son rapport à la catégorie “femme artiste”, je renvoie à l’extrait audio que j’avais sélectionné pour la “Rétro-source vers le futur” de ma 1ère newsletter.
Mioum. Francis Ponge écrit sur ses sculptures : « Les viandes de Germaine Richier ne nous sont servies que parfaitement comestibles. […] On a enlevé poils et plumes, et tout coussin et graisses superflues. On a gardé que l’essentiel : chair et squelette. On a pilé les foies, on a farci les ventres, puis tout a cuit dans la sauce du sang », Francis Ponge, « Germaine Richier », L’Atelier contemporain, 4 novembre 1956.
“Et je ne suis pas faite pour être un professeur d’enfants riches dans le sens que je vois, ou de femmes mi-artistes mi-bourgeoises. Il faut être plus pur pour comprendre l’art”. Richier enseigne beaucoup, elle a des élèves hommes et femmes, dont Hildi Hess (à qui elle écrit ces mots en 1936) et Claude Mary qui l’assiste dans son travail dans les années 1950. L’art de Richier marque aussi César, qu’elle apprécie et à qui elle confie ses souvenirs de visite du site de Pompéi.
On l’appelle “Maine” (Ger-maine, le hasard fait qu’elle a un atelier à un moment rue du Maine), ou L’Ouragane en référence à sa sculpture du même nom qui en impose : “Ma nature ne me permet pas le calme. On est comme on est, et l’âge ne me rend pas douce et sereine, non pas que je bataille, mais c’est en moi, avec moi”, Germaine Richier à Otto Bänninger (lui aussi ancien élève d’Antoine Bourdelle comme elle, et son 1er mari), s.d. [1950s].
Voilà, c’est peu, mais il a fallu choisir entre mettre davantage d’infos ou laisser le gif Fleabag, et j’ai préféré Fleabag ne pas spoiler l’expo ou le n°spécial Richier [disclamer : je ne touche aucun revenu sur les ventes] 🌱
à vif
cœurs
Enchainement incroyable et hasard des calendriers, il se tient une exposition Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992) (qu’on avait pu voir au musée Cantini à Marseille cet été) au musée des Beaux-arts de Dijon jusqu’au 3 avril. Amie de Germaine Richier avec laquelle elle a exposé et fait une œuvre commune, Vieira da Silva y est particulièrement bien présentée, dans un parcours chrono qui retrace sa carrière où la scéno est agréable et les textes intelligents. Si vous pouvez vous y rendre : foncez.
radar
wonder if you know
you're on my radar
Viiiiteee. Une exposition en ce moment à la galerie Françoise Livinec au 30 rue Penthièvre à Paris, prolongée jusqu’au 18 février, s’intitule “Marie Vassilieff - Les années cubistes” . Elle était complètement passée sous mon radar, merci France culture d’avoir publié un article à son sujet.
Another One Bites. “House of Dust” au Musée d'art moderne et contemporain de Saint-Étienne, c’est “un nouvel accrochage des collections s’attachant à améliorer la visibilité de la création féminine, qui ne représente qu’environ 4 % parmi ses 20000 œuvres”. Réalisé en collaboration avec le CNAP, il couvre la période (1960-2020) et est voir jusqu’au 10 avril. On y retrouvera notamment A two months story of a lady in Düsseldorf de l’artiste américaine Dorothy Iannone, récemment disparue.
“Exposé·es. C’est le titre de l’exposition qui ouvre le 17 février au Palais de Tokyo à Paris - une second chapitre ouvre début mars au CND. Ce que le sida m’a fait. Art et activisme à la fin du XXe siècle d’Elisabeth Lebovici en est le point de départ, pour “recoudre ensemble les fragments subjectifs de l’histoire de l’épidémie la plus meurtrière depuis le dernier siècle : des faits, des œuvres, des idées et des émotions qui lient le matériel à l’immatériel”.
Londres. Si vous êtes dans le coin : “Action, Gesture, Performance: Feminism, the Body and Abstraction” à la Whitechapel Gallery jusqu’au 7 mai et un pendant ouvre à la même adresse le 9 février “Action, Gesture, Paint: Women Artists and Global Abstraction 1940-70”.
chercher (sur) le feu
chercher (sur) le feu - une rubrique qui présente des travaux en cours ou achevés au croisement de l’histoire de l’art et des études de genre et d’autres disciplines. Dans les abysses des recherches enfouies, un sous-marin traque à l’aide d’un sonar les ondes inaudibles à la surface.
Dans cette newsletter, l’invitée est Aliénor B.-Valois, en Master 2 recherche en Histoire de l’art (sous la direction de Marie Gispert), dont on peut lire le très beau texte de “critique-créative” intitulé “Entre les marges, peindre à débordement Alice Halicka (1884-1975)”, dans le premier n° de Outsider, une nouvelle revue en ligne, gratuite, co-fondée par Adèle Cassigneul, Taous Dahmani, et Suzel Meyer.
“Après un mémoire de Master 1 intitulé ‘Un genre à sa place ? De la nature morte dans l'œuvre de Natalia Gontcharova entre 1904 et 1929’, j’entame des recherches sur le sujet des natures mortes au miroir du premier XXe siècle. Si j’ai centré mes recherches de M1 sur les choses chez une seule artiste, sans pour autant constituer de monographie complète, cette année est l’occasion de m’essayer à une autre méthodologie. La gestion d’un vaste corpus monographique est remplacée cette année par un corpus plus déséquilibré. Il s’agira de développer des réflexions autour d’un thème, un motif, le miroir, et d’emprunter à la fois à la culture matérielle, aux études de genre et à des champs plus conventionnels que sont les études symbolique et iconographique.
En pleine deuxième vague de Covid, un cours d’art allemand par Catherine Wermester en L3 sur la nature morte vue par les artistes de la Nouvelle Objectivité a été salvateur. Plus particulièrement, son approche de la culture visuelle et sa façon de décrire minutieusement les œuvres, d’y revenir sans cesse, me sonnent.
La quantité de natures mortes peintes par Natalia Gontcharova se prêtait à une analyse plus en détails des “choses” qui les composent, sur lesquelles j’avais fondé mes premières interrogations. Le miroir en tant qu’objet étant plusieurs fois représenté chez Gontcharova, traité de façon réaliste près d’un bouquet de fleurs sur une table ou déstabilisé dans sa forme par le style rayonniste, je me suis pris d’intérêt pour son étude.
Mon attention aux objets rejoint celle que je porte au détail en général, dans les arts visuels et la littérature. C’est d’ailleurs par la littérature – surtout la poésie – que les objets ont commencé à me fasciner. Je me souviens d’un groupement de textes sur la description en hypokhâgne qui m’avait absolument passionnée (!). Même si j’étudie l’histoire de l’art, mes recherches sont sans cesse renouvelées par des éléments tirés de la littérature et de la philosophie (par exemple, la phénoménologie, de laquelle je me sens assez proche et qui me sert à penser notre rapport au monde matériel) – et j’y tiens. Ce que les objets expriment de nos modes de vie, de leur usage et de l’intimité à laquelle ils sont mêlés me fascine, qu’ils soient non transformés (naturalia) ou fabriqués (artificialia) par les savoir-faire humains. Avec la nature morte, je trouve aussi à réfléchir sur la perception de la temporalité et de l’espace et ça me plaît beaucoup. Ce qui m’a menée à la nature morte, ce sont avant tout les discussions plus ou moins formelles avec ma directrice de mémoire, des camarades de Master, des doctorant·es et docteur·es, des professeur·es et des libraires, au hasard.
Trois textes récents, littéraires ou scientifiques, qui m’ont amenée aux choses :
Rebecca Birrell, This Dark Country: Women Artists, Still Life and Intimacy in the Early Twentieth Century, 2021.
Estelle Zhong Mengual, Apprendre à voir. Le point de vue du vivant, Actes Sud, 2021.
Maria Kakogianni, Marie Rouzin (dessins d’Amalia Ramanankirahina), Surgeons et autres pousses, Editions Excès, 2022.
Mes recherches l’an dernier se sont principalement appuyées sur quelques fonds d’archives dans les bibliothèques de l’INHA, du Centre allemand d’Histoire de l’art, du MahJ, à la Bibliothèque Kandinsky et une journée au rez-de-jardin de la BnF (car le Pass Recherche coûtait trop cher…). J’ai pu consulter des correspondances, cartons d’invitation et coupures de journaux au sujet de Natalia Gontcharova à la Bibliothèque Kandinsky et à l’espace Jacques Doucet à l’INHA, afin d’identifier ses œuvres de la manière la plus exhaustive possible. Cette année cependant le travail d’archives me prendra moins de temps (voire pas). La recherche d'œuvres autour d’une thématique (ici, le miroir) se fera alors davantage en écumant des bases de données grâce à des mots-clés et des catalogues de vente. Il faut parfois se satisfaire d’un résultat approximatif sur le site d’une maison de vente aux enchères.
Mon mémoire de M1 est disponible au Centre de Documentation de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (un projet de publication sous forme d’article est en cours, stay tuned…). J’écris ponctuellement des articles pour le Collectif ARQ et Outsider”.
-> mail pro : alienor.bautru-valois@etu.univ-paris1.fr / twitter : @dahlienor
retro-source vers le futur
parce qu’on n’a pas inventé l’eau tiède en 2022 : nos “redécouvertes” et débats actuels sont souvent des réactivations de discussions antérieures, qui étaient déjà en germe ou bien ancrées chez d’autres depuis des années.
J’étais allée à Londres en janvier pour d’abord voir Making Modernism: Paula Modersohn-Becker, Käthe Kollwitz, Gabriele Münter and Marianne Werefkin à la Royal Academy qui est très chouette et riche en découvertes. Et puis j’ai vu à la Tate Modern l’exposition Magdalena Abakanowicz: Every Tangle of Thread and Rope, à voir jusqu’au 21 mai. À l’heure où un fonds d’archives de l’historienne de l’art Barbara Rose (1936-2020) entre aux Archives de la critique d’art à Rennes, je signale qu’elle a écrit un ouvrage en 1994 sur Abakanowicz qui est disponible en ligne et permet de se familiariser avec son oeuvre.
L’expo était super. Abakanowicz m’a vraiment prise par le corps, je crois que je n’avais jamais vu en vrai ses Abakans et les sensations éprouvées en les côtoyant, en partageant le même espace qu’eux, sont assez déstabilisantes. Ces grands pans de textiles au tissage complexe - c’est toute une histoire - sont suspendus, on les frôle (même si NePasToucher) et on rêve de se cacher dedans, de se faire absorber. Au plaisir de disparaître dans le monde d’Abakonowicz.
merci d’avoir lu cette newsletter,
morose morisot - eva belgherbi 🌱