3# abstraire édition
abstraire : Isoler, par l'analyse, un ou plusieurs éléments du tout dont ils font partie, de manière à les considérer en eux-mêmes et pour eux-mêmes.
Il en fallu du temps pour écrire ce #3. Du temps long - comme le XIXe siècle - presque aussi loooong que celui passé à digérer les dernières expositions de l’été sur les femmes artistes présentées un peu partout en France.
Il y a eu la grande célébration : Elles font l’abstraction au Centre Pompidou à Paris. J’espère que tout le monde avait posé un jour de congé (2021 qui a encore ce luxe ?) et mené au préalable une préparation physique à base de féculent et de magnésium parce qu’il en fallu du temps et de l’énergie pour arpenter ces 43 salles ressenties 1000.
Dans l’énorme showroom/exposition plusieurs artistes me sont resté(e)s dans l’oeil : Marlow Moss que j’aime beaucoup et Barbara Hepworth que j’aime aussi, pas du tout pour les mêmes raisons. J’ai pensé à Anna-Eva Bergman qui n’y était pas et qui pourtant a écrit sur les concepts d’abstraction dans ses carnets1. Elle a d’ailleurs cette formule célèbre2 : “l’art d’abstraire”. Ses rapports à l’abstraction sont complexes, comme on avait pu le voir à l’exposition de Caen en 2019, et surtout comme l’explique Fabienne Dumont dans un essai qui interroge aussi le genre et la réception de ses peintures dans les milieux de l’abstraction en France3.
“Abstraire” c’est presque de l’ironie pour une exposition qui se targue de remettre les femmes artistes au centre d’une histoire de l’art revisitée - au risque de recréer un canon excluant à nouveau - mais on n’a pas assez de place ici pour refaire le match/l’expo, tout le monde est déjà trop occupé à visiter la rétrospective Georgia O’Keeffe qui vient d’ouvrir, à vous les studios.
à vif
cœurs
La fin de l’été c’est :
klingklangklung les sculptures abandonnées à la plage avec Barbara Hepworth.
rester encore une peu dans le fond de la piscine d’Eden-Roc avec Tamara de Lempicka - mais sans ce monsieur qui fait l’avion (?).
retrouver le chemin de l’atelier - et le plaisir de porter des vrais vêtements - avec Sonia Delaunay et deux amies.
aucun express
la mémoire dans les yeux
“[accent français] I was in Stockholm last week and I saw a wonderful exhibition at the Modern Art Museum Hilma af Klint have you ever heard of her ?
-Mmmmmmmmmm no.
- […] She invented abstraction.”
À la suite de cet échange dans les dix premières minutes du film Personal Shopper (Olivier Assayas, 2016), Kristen Stewart commence à s’intéresser à cette artiste suédoise qui lui était alors inconnue. Comme toute bonne chercheuse, elle achète la dernière publication sur le sujet et feuillette ce catalogue de l’exposition de 2013 qui lui était dédiée au Moderna Museet de Stockholm.
La trajectoire d’Hilma af Klint est pratique à replacer dans l’histoire de l’invention des avant-gardes4 et, surtout, elle est rentable : la fameuse exposition de 2013 au Moderna Museet - que n’a pas vue le personnage de Kristen Stewart - est devenue l’exposition sur un·e artiste suédoise la plus visitée de l’histoire du musée et en 2019, l’exposition du Guggenheim Museum à New York bat tous les records de fréquentation depuis la création du musée.
radar
wonder if you know
you're on my radar
Derniers feux. La très bonne exposition du monastère de Brou à Bourg-en-Bresse sur Suzanne Valadon et ses contemporaines, peintres et sculptrices 1880-1940 s’est achevée le 5 septembre. Elle était passée en plein reconfinement par le musée des beaux-arts de Limoges l’an dernier, on peut d’ailleurs toujours consulter en ligne la visite commentée d’Anne Liénard, directrice du musée et co-commissaire de l’exposition. Dans le parcours on aperçoit notamment des œuvres de Nadia Khodossievitch-Léger et de Juliette Roche, chacune faisant l’objet d’une exposition monographique à Saint-Tropez (jusqu’au 14 novembre) et à Besançon (jusqu’au 19 septembre). Viteeee.
Des bonnes raisons d’aller au musée : Le musée du Petit Palais expose en ce moment le tableau fraichement acquis (voir #1 ) d’Eva Gonzalès, La servante ou À la barrière (1865-1870). Le musée Carnavalet a rouvert à Paris après des années de travaux, l’occasion d’aller y admirer le portrait de Natalie Clifford Barney par Romaine Brooks (1920), spoiler sur les internets.
La peintre Geneviève Asse est décédée cet été, relire ce billet sur le blog de Le beau vice “Geneviève Asse, les bleux à l'âme. (Paris, musée National d'art moderne) de 2013.
Les mots. L’article de Catherine Gonnard dans le Télérama hors-série spécial “Femmes artistes, ni vues, ni connues” qui s’intitule “Artiste, nom masculin et féminin” (p. 30-41) propose une réflexion sur ce que veut dire artiste femme depuis le XIXe siècle et les enjeux que ces problématiques sous-tendent. Parce que les mots ne sont pas neutres, il y a aussi cette entrée dans le Dictionnaire du genre (dir. Ilana Eloit et Marta Segarra, CNRS), “Femmes artistes en quelques mots” par Charlotte Foucher Zarmanian et moi-même qui tente de remonter aux origines des mots “peintresse”, “sculpteuse”, etc. Fun.
« Je voulais montrer une peintre au travail, donc je n’ai fait que ça ». Le film Portrait de la jeune fille en feu (Céline Sciamma, 2019) est disponible gratuitement sur le site d’Arte jusqu’au 14 septembre (viteeee). Plaisir d’entendre aussi Céline Sciamma à la radio à propos de son film et des sources pour construire le personnage de la peintre Marianne.
Les journées du matrimoine, peril(e). Samedi 18 septembre et dimanche 19 septembre rendez-vous à la mairie du 12e arrondissement à Paris pour découvrir grâce à l'association Nina et Louise, en collaboration et avec le soutien de la Mairie du 12e, via deux visites guidées gratuites le matrimoine du quartier. À Metz, le Lora - Réseau LorraineArt Contemporain - propose une table-ronde samedi 18 septembre après-midi pour discuter autour de la notion même de matrimoine : “(Re)connaître et faire connaître la contribution des artistes femmes à la culture : quelles voies pour le matrimoine ?”.
chercher (sur) le feu
chercher (sur) le feu - une rubrique qui présente des travaux en cours ou achevés au croisement de l’histoire de l’art et des études de genre et d’autres disciplines. Dans les abysses des recherches enfouies, un sous-marin traque à l’aide d’un sonar les ondes inaudibles à la surface.
Spéciale édition “La ReNtrÉe” avec dans la trousse au secours :
Un thread initié par Melon du Lagon sur Twitter pour recenser les expositions de femmes artistes qu’on va pouvoir visiter dès cet automne :
On conseille pour cette rentrée aux jeunes chercheurs et chercheuses en histoire de l’art de regarder du côté du collectif de Recherche pour une Histoire de l’Art Féministe et Queer (l’ARQ) créé il y a quelques mois et qui a pour ambition “la production, le rassemblement et la valorisation des recherches scientifiques sur l’art et les représentations féministes et queers”.
On souhaite la bienvenue à Art-Thémis, le club féministe de l’École du Louvre créé par Clara Belbachir-Garnier, qui explique que “Art-Thémis est née avec pour objectif de : valoriser les femmes artistes d'hier et d'aujourd'hui et lutter contre un monde artistique phallo-centré pour faire (re)découvrir l'art féministe et ses actrices. Par le biais de conférences, d'interviews, de rencontres, de visites guidées et bien d'autres, nous parviendrons à faire entendre les voix du féminisme au sein des institutions culturelles.” Un programme ambitieux qui se réalisera, on l’espère, avec aussi la mise en valeur des travaux des chercheuses qui travaillent sur ces sujets - au sein même de l’institution - car s’il y a bien plus invisible qu’une femme artiste c’est assurément la personne qui travaille dessus.
Extrait/synthèse du travail *solide* de Master 1 par Camille Philippon et Jordane Pichon sur le blog de la Bibliothèque d’Art et archéologie Jacques Doucet (INHA) avec un billet consacré à “Jacqueline Marval (1866 – 1933) : une Fauve à la Bibliothèque d’art et d’archéologie”.
retro-source vers le futur
parce qu’on n’a pas inventé l’eau tiède en 2021 : nos “redécouvertes” et débats actuels sont souvent des réactivations de discussions antérieures, qui étaient déjà en germe ou bien ancrées chez d’autres depuis des années.
Le carton de l’exposition Eccentric Abstraction à la Marylin Fischbach’s Gallery, à New York en 1966 mis en ligne sur le - fantastique et addictif - site ada-invitations, un projet recensant les invitations aux expositions. Le recto est littéralement un manifeste de ce que Lippard envisage par Eccentric Abstraction : “an attempt to blur boundaries … between minimalism and something more sensuous and sensual.”
merci d’avoir lu cette newsletter,
morose morisot
Voir Anna-Eva Bergman, Pistes, ouvrage conçu par Ole Henrik Moe et Christine Lamothe, trad. du norvégien par Luce Hinsch, Antibes, Fondation Hans Hartung et Anna-Eva Bergman, 1999.
Fabienne Dumont, “Anna-Eva Bergman au miroir de son temps : du constat social au sublime”, in Anna-Eva Bergman, Christine Lamothe (dir.), Dijon, Les presses du réel, 2011, p. 168.
J’ai toujours autant de réserves concernant la réthorique de la pionnière ou du pionnier, mais Julia Voss signait en 2019 un texte intéressant “The first abstract artist? (And it's not Kandinsky)”.