
Vous avez été plusieurs lecteurs et lectrices à m’envoyer l’appel à communications sur les sculptrices, émis par AWARE, INHA, Petit Palais, Musée d’Orsay, Centre Pompidou, Université Paris Lumières, Cnap. Le comité scientifique étant inconnu à l’heure où j’écris ces lignes, on m’a aussi demandé si j’étais inclue dans l’organisation et ses discussions, si j’avais été contactée par les organisateur·ices. La réponse est évidente : non. À vrai dire, je n’ai appris l’existence de ce colloque que via des réseaux sociaux et le bouche-à-oreille. Le sujet de ce colloque étant sur les sculptrices, ça ferait sens que je participe, étant donné que le sujet de ma thèse est l’enseignement de la sculpture aux femmes, en France et au Royaume-Uni (1863-1914). Cet intérêt des institutions pour “les sculptrices” devrait me rendre très heureuse. Mais voilà, depuis mon inscription en thèse en 2017, mes recherches sont menées sans financement (pas faute d’avoir postulé à un contrat doctoral et un poste de chargée d’études et de recherches à l’INHA, par exemple). Dans la recherche en histoire de l’art, à tous les niveaux, nous avons tou·tes nos petits ressentiments envers les systèmes de selections et de mises en compétition puisqu’il n’y a pas de place pour tout le monde ni tous les sujets (et non, surtout pas pour les sujets dits “à la mode”). On peut sentir une certaine frustration ! une amertume ! de la morosité ! C’est vrai ! D’ailleurs mon cas n’est pas exceptionnel du tout.
Alors ? enverra, ou n’enverra pas ? sera sélectionnée, ou ne le sera pas ?
Je ne sais pas quoi faire, au-delà des nombreuses incitation à envoyer quelque chose (pour le dire très sincèrement, je pense que je n’aurais pas le choix), puisque tant que les musées, institutions et associations (institutionnalisées) considèreront les chercheurs chercheuses seulement dans le cadre des colloques (une communication représente plusieurs heures de travail que l’on effectue donc gratuitement et au détriment d’autres activités salariées) et n’instaureront pas un véritable dialogue ni de collaborations pérennes et rémunérées sur le long terme, nous serons tou·tes dans une impasse. La liste des communications que j’ai pu donner ces 7 dernières années est assez éloquente quant au nombre toujours croissant des colloques sur les femmes artistes.
Présenter une communication à un colloque (après sélection de notre proposition par un comité à priori scientifique), c’est quelque chose qu’on fait gratuitement (en France les intervenant·es dans les colloques ne sont pas rémunéré·es (en tout cas je ne l’ai jamais été) on considère que ça fait partie de leur formation/travail - ce qui pose quand même question pour les plus précaires).
La seule fois où j’ai été rémunérée, c’était en 2021, à un colloque sur les premières sculptrices acceptées à la Royal Society of Sculptors (RSS) au début du XXe siècle, organisé par la RSS et soutenu financièrement par le Paul Mellon Centre for Studies in British Art. L’appel était clair sur les attentes et le montant des “speaker's fee” était indiqué. Ce colloque faisait partie d’un programme de recherche, structuré autour des sculptrices britanniques du XIXe-XXe siècles du Henry Moore Institute, ‘Researching Women in Sculpture’ et respectueux des chercheurs chercheuses qui ont dans leurs corpus des artistes susceptibles d’être intégrées à cette recherche. Le bilan de ce programme - ainsi que ses futurs prolongements car la recherche n’est pas finie ! - a été restitué le mois dernier à Wakefield, au musée Barbara Hepworth, sous forme d’une journée d’études.
Je ne dis pas qu’à l’étranger l’herbe est plus verte, cependant force est de constater qu’en France, sur les femmes artistes, il y a un manque de souffle et d’ambition de la part des institutions qui comptent essentiellement sur la recherche gratuite dispensée lors des colloques. Peut-être que les institutions ou organismes (je ne parle pas des universités qui sont déjà exsangues et dont les budgets sont largement déficitaires pour la recherche en sciences humaines et sociales) qui organisent ce genre de colloques (dont les intervenant·es, sont souvent de jeunes chercheurs chercheuses sans contrats, ni postes, au bout de la chaine alimentaire de la recherche), pourraient prévoir des rémunérations ? Au lieu de maintenir une hiérarchie entre celles et ceux qui travaillent dans les musées et institutions VS celles et ceux en dehors, sans financements ni postes, cela pourrait constituer une sorte d’encouragement - même si très maigre ce serait mieux que rien. Rappelons-le : il n’existe pas de bourses ni financements spécifiques, encore moins de programmes de recherche en France à l’heure actuelle pour la recherche en histoire de l’art utilisant les études de genre.
De mon point de vue, et j’ai conscience de la contradiction, je me dis que quitte à faire des choses gratuites, autant les faire avec des ami·es ou des personnes dont on a lu les travaux, qui se rapprochent des nôtres, pour se réunir et faire communauté (scientifique). Parce que finalement les colloques restent des occasions où se tissent des liens, où l’on teste ses hypothèses, où l’on réfléchit ensemble, où l’on sort d’un isolement institutionnel. Ces moments sont nécessaires tant on peine à trouver dans le milieu universitaire des personnes, des pairs, avec qui discuter sérieusement de nos sujets “à la mode” sur les femmes artistes ou le genre en histoire de l’art. J’ai aimé co-organiser le colloque Violent(e)s, genre et violence dans l’histoire de l’art avec Zoé Marty en 2019, ainsi que participer à l’organisation de celui des Jaseuses, en ligne, sur les Constellations créatrices, héritages et réseaux féminins/queer, en plein Covid en 2021, à un moment où nous avions besoin de nous réunir, même virtuellement avec des participant·es dont nous admirons les travaux. C’est aussi pour ça que j’ai accepté cet été la proposition de Florence Fix et de Corinne François-Denève de participer au comité scientifique autour du sujet La revanche de Galatée : sculptrices, portraits, représentations et personnages au XIXe siècle. J’avais “rencontré” virtuellement Corinne François-Denève au colloque des Jaseuses auquel elle a participé, elle m’avait aussi demandé un article que j’ai écrit en 2021 sur les personnages de sculptrices dans la littérature au XIXe siècle pour le citer en 2022 dans son introduction générale à deux pièces de théâtre écrites par des dramaturges suédoises de la fin du XIXe siècle (Victoria Benedictsson et Frida Stéenhoff) qui comprennent des protagonistes femmes artistes.
Encore un exemple de constellation qu’on se tisse en colloque, qui peut se révéler un lieu d’amorce de recherche collective, en fonction des affinités personnelles et des points de convergence méthodologiques.
Alors ? enverra, ou n’enverra pas ? sera sélectionnée, ou ne le sera pas ?
aucun express
la mémoire dans les yeux
En 1930, la peintre Tamara de Lempicka installe son atelier dans l'immeuble récemment construit par Robert Mallet-Stevens, rue Méchain à Paris. Elle fait appel à sa soeur Adrienne Gorska, qui est architecte, et à Robert Mallet-Stevens pour l'aménager. Ça donne un bel et chic atelier art déco, nickel chrome.
radar
wonder if you know
you're on my radar
Direction Bruxelles ! Le collectif Architecture qui dégenre propose les 21, 22 et 23 octobre une riche programmation sur le matrimoine belge, c’est l’occasion d’aller écouter des conférences, de faire des visites de la ville et des musées et de se retrouver autour des mémoires de femmes artistes, de l’architecture, etc. C’est un super programme et j’ai très hâte d’y assister !
Initials F.O. Eh non, pas Force Ouvrière, mais Fernande Olivier (1881-1966). On connait sa tête mais moins sa vie, son art, ses ami·es, ses mots. Une exposition lui est consacrée au musée de Montmartre dans le sillage des célébration des 50 ans de la mort de Picasso, mais ça n’est pas une exposition sur le peintre. Certes il apparait de temps en temps dans les salles, mais l’intérêt est ailleurs et c’est ce que nous montre le musée de Montmartre - qui ainsi trolle un peu les célébrations picassiennes. Une expo vue et appréciée !
Photo. L’exposition sur la photographe Ergy Landau (1896-1967) vient d’ouvrir à la Maison de la Photographie Robert Doisneau à Gentilly et dure jusqu’au 8 janvier 2023. L’exposition est accompagnée de son catalogue par les commissaires Kathleen Grosset, Laurence Le Guen et David Martens (qui donnent une visite guidée gratuite ce dimanche 23 octobre à 16h).
Fleuve-photo. L’exposition Zoe Leonard, Al río / To the River a ouvert au musée d’art moderne de la Ville de Paris le 15 octobre (jusqu’au 29 janvier 2023), c’est une superbe respiration.
Paupières. Le mardi 18 octobre ouvre l’exposition Françoise Pétrovitch. Derrière les paupières à la BnF François Mitterand. J’ai eu le plaisir d’assister à la visite presse et c’était un plaisir de découvrir cette artiste. Un billet à venir sur le carnet de recherche.
Médiatrices. Un appel à communication à été lancé par Natacha Aprile, Maxime Bray, Défendin Détard, doctorant·es rattaché·es au Centre André Chastel autour du thème “Intermédiaires ? Les femmes dans les sphères artistiques, entre actions et contraintes (XVIIe-XVIIIe siècles)”.
Lacérée. Julie Beauzac du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte ? lance sa campagne pour financer la prochaine saison ! Elle propose deux Carnets malpolis, sur des thématiques de l'histoire de l'art, “Art et Mythologie” et “Art et classe”. Elle a aussi sorti un dernier épisode sur la Vénus au Miroir de Velázquez attaquée par la suffragette Mary Richardson en 1914. J’aime beaucoup cette histoire, elle était le point de ma communication lors du colloque “Violent(e)s, genre et violence dans l’histoire de l’art en 2019. Elle est publié en ligne sous le titre “Pointes, hachoirs et marteaux. Variations sur les représentations de la violence des femmes au tournant du XXe siècle”, dans les actes.
Sortie le 26 octobre. Une place. Réflexions sur la présence des femmes dans l'histoire de l'art, écrit par Eva Kirilof et illustré par Mathilde Lemiesle. J’aime beaucoup l’idée d’un livre graphique très personnel, sincère dans sa démarche du regard porté sur ces questions qui me traversent en tant que chercheuse (le compte Instagram d’Eva Kirilof est d’ailleurs le seul que je consulte quotidiennement avec celui de Vénus sur ces sujets). À propos de la forme, j’en parlais pour un autre objet (mais destiné aux enfants cette fois) de ma bibliothèque ici. L’ouvrage sort le 26, mais une présentation est prévue en librairie à Paris le 18 octobre, à La Régulière.
Repéré sur Twitter grâce à Magali Lesauvage : “Rokhaya Diallo responds to Alice Neel’s portrait of the porno-feminist Annie Sprinkle”. D’ailleurs un documentaire dans lequel on voit les séances de pose des modèles de Neel est dispo sur Arte.
retro-source vers le futur
parce qu’on n’a pas inventé l’eau tiède en 2022 : nos “redécouvertes” et débats actuels sont souvent des réactivations de discussions antérieures, qui étaient déjà en germe ou bien ancrées chez d’autres depuis des années.
Pas de texte écrit rétro-source aujourd’hui c’est S.C.U.M Manifesto de Valerie Solanas, lu par Delphine Seyrig et tapé à la machine par Carole Roussopoulos en 1976.
merci d’avoir lu cette newsletter,
morose morisot - eva belgherbi