Il y a les bicentenaires dont on se désintéresse franchement et puis il y a les anniversaires qu’on aimerait célébrer.
2021, c’est la fête :
ce sont les 40 ans de la première publication de Old Mistresses, Women, Art and Ideology de Rozsika Parker & Griselda Pollock (Londres, Routledge & Kegan Paul, 1981)
ce sont les 50 ans de l’essai “Why Have There Been No Great Women Artists?” de Linda Nochlin (ARTnews, 1971)
Grandeur et maîtres anciens sont pensés au masculin. C’est de là (et aussi d’ailleurs) que partent ces historiennes de l’art pour produire ces textes qui ont souvent été des introductions décisives à une histoire de l’art féministe et aux études de genre. Derrière leur apparente légèreté, ces intitulés sont des invitations à la lecture. Le titre Old Mistresses fait référence à celui de l’exposition de 1972, organisée par Anna Gabhart et Elizabeth Broun, Old Mistresses : Women Artists of the Past (Baltimore, Walters Art Gallery). La question posée par Nochlin, quant à elle, traite avec une ironie savoureuse des concepts de “génie” ou de “grandeur”. À aucun moment elle n’envisage d’y répondre par un attendu et superficiel “si, il y a eu de grands artistes femmes, regardez, les voici, oh wow”.
Linda Nochlin est décédée en 2017. Spécialiste de Courbet, elle a particulièrement travaillé sur le XIXe siècle français, mais pas que. D’autres en parlent beaucoup mieux que moi ici, ici, ou encore ici. On peut la lire dans cet entretien avec Anne Lafont et Todd Porterfield en 2015, ou encore l’écouter dans cette interview menée par Hrag Vartanian pour Hyperallergic en 2016.
Son dernier ouvrage, Misère: The Visual Representation of Misery in the 19th Century, recensé ici, a été publié à titre posthume et reste encore non traduit en français.
En 2018, dans une conversation avec Elisabeth Lebovici au Whitney Museum, Zoe Leonard revient sur son installation Homage au texte de Linda Nochlin (dont des citations sont affichées dans l’espace pour le personnel du musée) et sur sa relecture de l’essai de 1971 (15:24) :
“ […] rereading at certain things feels dated but most of it feels hot out of the oven, like fresh like it was yesterday […] ”
50 ans de fraîcheur.
à vif
cœurs
Une exposition Georgia O’Keeffe ouvre au Museo Nacional Thyssen-Bornemisza à Madrid en mai, accompagnée d’une série de conférences. C’est aussi l’occasion de se souvenir de celle du musée de Grenoble en 2015, Georgia O’Keeffe et ses amis photographes.
aucun express
la mémoire dans les yeux
À l’automne 2022, une exposition sur la peintre américaine Alice Neel (1900–1984) se tiendra au Centre Pompidou à Paris. Le catalogue est déjà sorti puisqu’elle devait avoir lieu à l’été 2020. Ce portrait de Linda Nochlin avec sa fille Daisy date de 1973, deux ans après “Why Have There Been No Great Women Artists?”. Il est conservé au Museum of Fine Arts de Boston.
"If I look a little—what should I say—tense or intense, it's because you try sitting for a portrait with a four-year-old!” se souvient Nochlin, des décennies plus tard dans cette vidéo.
radar
wonder if you know
you're on my radar
Le travail : dans le dernier épisode de son - très cool - podcast “Artistes Manifestes”, Adélie le Guen reçoit Valentin Gleyze, doctorant à Rennes 2, qui consacre sa thèse à l’artiste polonaise Alina Szapocznikow. La première partie de cet entretien est disponible ici.
Colloque : « Fabriquer les identités collectives. Un chantier de l’art à l’époque contemporaine (XIX-XXIe siècle) », le 27 et 28 mai 2021.
QLF : pour démonter un peu ce mythe confortable du travail solitaire et pour corroder petit à petit la fameuse “pépite du génie” (Nochlin), on s’intéresse à l’entourage des artistes - un récent ouvrage s’articule autour des trois sœurs de Van Gogh - mais aussi à celui des historiens et historiennes de l’art - en témoigne la journée d’études consacrée à ce thème, à l’automne 2020 à l’INHA.
Warburg et al. : cela vaut aussi pour celui qui est cité à l’envi dans des tonnes d’essais et d’articles. Début 2020 est sorti Fragments sur Aby Warburg, le projet de biographie intellectuelle mené par sa proche collaboratrice, Gertrud Bing (1892-1964), qui dirige à partir de 1955 le Warburg Institute à Londres. En décembre 2020 est paru un livre dirigé par Michael Diers et Bärbel Hedinger (une somme de 500 pages), intitulé Mary Warburg. Porträt einer Künstlerin. On y découvre le travail de sculptrice et de peintre de Mary Warburg ((1866–1934) née Hertz), ainsi que ses échanges intellectuels avec son mari Aby, ses réseaux, des archives et le catalogue raisonné de ses œuvres. Une conférence enregistrée intitulée “The Artist and the Scholar” présente le projet.
chercher (sur) le feu
chercher (sur) le feu - une rubrique qui présente des travaux en cours ou achevés au croisement de l’histoire de l’art et des études de genre et d’autres disciplines. Dans les abysses des recherches enfouies, un sous-marin traque à l’aide d’un sonar les ondes inaudibles à la surface.
Ennio Grazioli est étudiant en master 2 d’histoire de l’art à l’Université Paris X Nanterre et travaille depuis 2019 sur les femmes photographes au XXe siècle sous la direction d’Aurélie Petiot. Il présentera cette année un mémoire intitulé “Ilse Bing en historienne de l’art et critique de la photographie : le mouvement et la temporalité au cœur de la redéfinition des histoires de la photographie (1930-1990)”. Il est également membre de l’association culturelle Piapia depuis 2019 dans laquelle il est chargé des publics, de la médiation, et écrit des articles. A côté, il pratique la photographie en amateur et travaille autour de la question du corps et de l’identité @/eniluapski. Il a aussi écrit ici et parlé là.
“Je souhaitais travailler sur la place de la femme en photographie par intérêt purement personnel de base. C’est suite à la découverte du catalogue d’exposition du musée d’Orsay Qui a peur des femmes photographes ? que j’ai pris conscience des lacunes dans la recherche française sur la période 1920/1945. Il y a d’autant plus de lacune qu’il existe peu de recherches autour de l’importance de toutes les femmes photographes dans les réseaux d’avant-garde parisiens.
Comment faire pour retracer ces réseaux concrètement, afin d'aller plus loin que la simple énumération des biographies ?
Je me base déjà sur le peu de recherches existantes. C’est surtout beaucoup de recoupements de lectures, parce qu’il existe déjà des recherches faites sur chacune des photographes mais aucune qui ne les met en lien les unes avec les autres. Ça passe aussi beaucoup par l’analyse des photographies de portraits. On a tendance à oublier que la présence d’une personne sur un cliché est significative d’un lien, qu’il soit uniquement celui de connaissances mais aussi qu’il soit la preuve d’une amitié ou d’une collaboration à plus long terme.
Une joie de la recherche ?
J’ai accès à très peu d’archives, tout simplement parce qu’elles n’existent pas ou parce qu’elles ne sont pas en France. Ma plus grande joie a été de découvrir dans les archives d’Ilse Bing une photographie prise par Emmaguel Sougez, le photographe qui lui a donné son surnom de ‘Reine du Leica’ que l’on conserve encore aujourd’hui, de Pétain et Hilter. Elle le dénonce ouvertement pour ses liens très forts avec le régime nazi.
Elle écrit : ‘Sougez dans son travail donnait preuve de sa sympathie pour le nazisme’
J’ai trouvé ça très fort de sa part, une véritable reprise de pouvoir sur celui qui soit-disant l’a fait connaître et à qui elle devrait tout - sauf la vie.
L’intérêt de travailler sur les réseaux ?
Je pense que travailler sur les réseaux et groupes permet de repenser un peu l’histoire de l’art autrement que uniquement sous le prisme des génies solitaires qui produisent seuls, sans l’aide de personne. Dans les faits, aucun artiste n’est jamais seul dans son processus créatif. C’est important de démontrer comment iels s’influencent mutuellement, comment iels travaillent ensemble ou en opposition. Dans le cadre de ma période, le XXe siècle est particulièrement connu pour ses réseaux d’avant-garde, c’est donc important de les revoir pour mettre en lumière celleux qui ont été oublié·es alors même qu’iels participaient activement au développement d’une nouvelle forme d’art et d’expression. C’est plus une relecture de l’histoire pour ‘recréer les connexions manquantes’ (cf Geneviève Fraisse dans sa préface de Pour une esthétique de l’émancipation d’Isabelle Alfonsi)”.
retro-source vers le futur
parce qu’on n’a pas inventé l’eau tiède en 2021 : nos “redécouvertes” et débats actuels sont souvent des réactivations de discussions antérieures, qui étaient déjà en germe ou bien ancrées chez d’autres depuis des années.
[extraits]
“Aujourd’hui, tentative d’entreprendre un nouveau travail. Je me sens vide et je n’ai pas envie de grand-chose.” (1908)
“De grandes manifestations de tous les partis sont prévues. Je suis allée à l’atelier et, en rentrant, j’ai voulu me joindre à un cortège qui défilait pour l’union. Mais je n’ai rencontré aucune connaissance et je suis rentrée en tramway.” (1919)
“Il n’y a plus un seul journal qui représente une autre opinion.
Mise au pas générale.
Et pendant ce temps, nous continuons à vivre et à vaquer à nos occupations. Je travaille en ce moment au groupe statuaire Mère avec ses deux enfants. J’ai jusqu’à fin septembre pour vider mon atelier à l’Académie. Le travail avance sans problèmes.” (juillet 1933)
“Mais il faut pourtant que je travaille”
Ces fragments sont écrits par l’artiste allemande Käthe Kollwitz1 (1867-1945) dans son Journal. La nouvelle édition (Strasbourg, l’Atelier contemporain, 2019), agrémentée d’articles et de souvenirs, est traduite par Sylvie Pertoci, introduite par Jutta Bohnke et préfacée par Marie Gispert (maîtresse de conférence HDR - Paris 1) qui partage son texte ici.
merci d’avoir lu cette newsletter,
morose morisot
Une exposition du MAMCS (Strasbourg) lui était consacrée en 2019.