Franchement, ce sera pas long parce qu’on a déjà mille lectures de l’année à rattraper pendant ces quelques jours de “congés”.
Juste une missive pour réitérer mon enthousiasme et ma fascination absolue pour l’exposition Les Flammes (émoji flamme tout le monde a déjà fait la blague sur les réseaux) L'Âge de la céramique au musée d’art moderne de la ville de Paris, qui est - avec l’exposition Suzanne Valadon et ses contemporaines au monastère de Brou cet été - une des meilleures expos de l’année que j’ai pu voir. On peut encore la visiter, son catalogue est super1.
On a envie de tout lisser, toucher ou caresser, le biscuit de porcelaine qui devient une peau, la terre à tripoter, les outils à manipuler, l’enveloppe qui se décline et fait sa vie, la céramique c’est magique.
Le sujet est large, mais de ce que j’en ai retenu, c’est que le politique, le genre, la culture matérielle, parfois même les transferts culturels, sont au centre de cette exposition. C’est solide et malin, comme quoi, si on en doutait encore, le politique est inséparable de l’histoire de l’art, des techniques et j’avais la bonne impression d’assister à un développement/une scéno hérités des musées de société, où l’on est à la frontière des catégories - est-ce qu’on regarde un objet, une ‘oeuvre’, parle-t-on d’artisanat, d’art ? -, bref, ça questionne, ça réfléchit (voir le programme du colloque prévu en janvier enfin publié). La dernière expo à m’avoir fait cet effet c’était Folklore au Centre Pompidou Metz en 2020, passée par le Mucem.
Dans ces deux expositions, des femmes artistes étaient présentes, sans qu’on ai besoin de sortir trompettes et tambours, de distribuer des cookies. Comme si dès qu’on sortait des carcans des catégories des beaux-arts (tels que le XIXe siècle *par exemple* l’entendait : arts majeurs étant peinture et sculpture, arts mineurs étant le reste, dont les arts décoratifs), on arrivait enfin à intégrer leurs oeuvres, leurs objets, leur production, dans des parcours d’expos sans avoir à brandir le fameux - et redondant - ELLES. Dans Folklore, la part belle avait été faite aux oeuvres de Gabriele Münter, Meret Oppenheim et Natalia Gontcharova, si pertinentes dans le sujet traité. Bref, dans Les Flammes sont abordées les questions de genre - inévitables compte tenu de la matière et des stéréotypes de genre qui l’accompagnent - et l’on croise Judy Chicago, Marie Talbot, Vanessa Bell, Anne Dangar, Marguerite Wildenhain, Suzanne Ramié, Valentine Schlegel récemment disparue en 2021, Alina Szapocznikow, Lynda Benglis, Niki de Saint Phalle, même Ana Mendieta, du queer, du militant, des cartels intelligents, le feu (émoji feu).
à vif
cœurs
“La mer a gonflé son
sein d’orage avec le vent
d’alger et la fureur de ses
eaux . la guerre rouge a
frappé contre son ventre,
avec ses fusils chargés de
poudre, ses chars à dents […]”2
L’artiste, poétesse, Etel Adnan née en 1925 à Beyrouth est disparue cette année dans la nuit du 13 au 14 novembre. Elle vivait en Bretagne avec sa compagne Simone Fattal. Dans un très beau papier du Quotidien de l’art Marine Vazzoler - grâce à qui j’ai entendu parler pour la première fois d’Etel Adnan il y a quelques années - précise quel a été son parcours et revient sur son statut de “jeune artiste de 96 ans”. Des expositions lui ont en effet été consacrées dans les grandes institutions récemment : depuis le mois d’octobre le Guggenheim Museum, à New York, présente Etel Adnan: Light’s New Measure jusqu’au 10 janvier. Sur une idée d’Etel Adnan, l’exposition du Centre Pompidou Metz s’intitule “Ecrire, c’est dessiner”, dans laquelle on retrouve de nombreux et nombreuses artistes qui dialoguent et écrivent avec elle, dans une scéno intéressante où s’articulent des oeuvres de Pierrette Bloch, Louise Bourgeois, Cy Twombly ou encore Nancy Spero.
aucun express
la mémoire dans les yeux
En 2016, une exposition était consacrée à Anne Dangar au musée de Valence.
Je l’avais évidemment loupée (vous connaissiez ?). C’est au détour d’un après-midi passé sur Gallica - en plus de l’expo Flammes du MAMVP - que j’ai vraiment pu appréhender le travail de l’artiste au sein des ateliers Moly-Sabata, un nom qui sonne comme un sort, et son rôle pédagogique dans la transmission d’un savoir artistique.
radar
wonder if you know
you're on my radar
Un texte important. J’avais regretté de ne pas avoir pu aller l’écouter lors de son passage au colloque Rotondes organisé par les chargé·es d’étude et de recherche de l’INHA. Natacha Aprile signait en 2020 un article particulièrement intéressant sur la notion d’objectivité dans le domaine des études de genre : « Preuve et objectivité : l’inégalité des exigences scientifiques dans les études du genre et des sexualités » in Sphères, n° 5, 2020, p. 31-44, disponible en ligne.
2022 pêle-mêle. Des expositions qu’on a envie de voir, qu’on redoute, qu’on ira voir quand même, qu’on attend, qui piquent la curiosité. Alice Niel au Centre Pompidou, Rosa Bonheur à Bordeaux et au musée d’Orsay, Toyen au musée d’art moderne de la ville de Paris, et encore d’autres (rappel que Melon du Lagon sur Twitter publie chaque année un récap très pointu et attendu des expos sur les femmes artistes à venir 🧐).
En parlant de Rosa Bonheur … Merci de m’offrir une poupée à son effigie svp pour Noël, cadeaux par milliers etc.
S’il n’y avait qu’un voyage en 2022. “What joy to be a sculptor!”
Swedish Women Artists 1880–1920, du 17 mars au 11 septembre 2022, au Nationalmuseum de Stockholm. “‘What joy to be a sculptor! Artist. Hooray!’ wrote the artist Ida Matton in her diary on 10 August 1923, in spite of the tribulations she sometimes experienced in her chosen profession”. Une anthologie - en anglaise - sur les artistes femmes nordiques accompagne le catalogue. J’ai super hâte.
Un livre qu’on espère être plus qu’un énième coffee-table book sur des femmes artistes. L’article de Lauren Moya Ford, “A Century of Women Designers Who Helped Shape Our Lives”, Hyperallergic (1/11/2021) à propos de l’ouvrage Woman Made: Great Women Designers écrit par Jane Hall et paru chez Phaidon cette année : “Hall conducted extensive archival research, mining books, design journals and periodicals, exhibitions, and the web for information about her subjects. The author also connected with curators, design historians, biographers, family members, and friends of designers to get a richer picture of their lives and work.” On croise les doigts pour que ce ne soit pas qu’une succession de notices, comme on peut l’observer dans un grand nombre d’ouvrages parus récemment. Un livre qui s’inscrit à nouveau dans le regain d’intérêt (a-t-il déjà cessé ? spoiler non) pour les productions de femmes artistes/artisanes/designeuses dans le domaine des arts décoratifs/design/textiles/céramiques.
Un projet d’ouvrage à soutenir. L’association Musé·e·s, composée de jeunes professionnelles des musées, a lancé son appel à contribution (jusqu’au 3 janvier) et cherche des financements pour pouvoir réaliser un livre collectif sur les questions de genre dans les institutions muséales. A suivre sur leur compte twitter @assomuse_e_s.
chercher (sur) le feu
chercher (sur) le feu - une rubrique qui présente des travaux en cours ou achevés au croisement de l’histoire de l’art et des études de genre et d’autres disciplines. Dans les abysses des recherches enfouies, un sous-marin traque à l’aide d’un sonar les ondes inaudibles à la surface.
Il y a quelques semaines, j’ai été invitée par Camille Philippon pour participer à une table-ronde qui s’est tenue à l’Ecole du Louvre sur la recherche en histoire de l’art et études de genre. Nous étions cinq, Aurélie Dupuy, Jeanne Mathas, Laure Saffroy-Lepesqueur, Emma Distel et moi-même à partager et échanger sur nos expériences respectives de la recherche. Emma Distel est étudiante en Master 2 Muséologie à l’Ecole du Louvre, sa reflexion sur le statut d’artiste-curatrice la travaille depuis au moins un an et ça m’intéressait de savoir comment elle envisage son corpus, à partir de la figure non-inconnue ni “oubliée” de VALIE EXPORT et qu’elle prolonge avec d’autres études de cas.
Point de départ
“Mon mémoire de l’an dernier est intitulé « VALIE EXPORT : double créatrice. Artiste et curatrice ». Cette année, je poursuis mes recherches à propos de sa carrière double en élargissant mon corpus, sûrement avec Kirsten Justesen, artiste-curatrice féministe danoise qui a conçu une exposition avec VALIE EXPORT en 1996 (Body as Membrane). Ma volonté est d’étudier comment les artistes parviennent à construire des carrières multiples, comprendre comment elles s’imbriquent et surtout comment elle sont reçues. L’an dernier, je savais uniquement que je voulais travailler à propos de VALIE EXPORT. Il restait à savoir de quelle manière. Finalement assez peu d’ouvrages français traitent de son œuvre, c’est pourquoi j’ai persisté. Ce n’est qu’en consultant un catalogue d’exposition, au détour d’une interview entre VALIE EXPORT et Yilmaz Dziewior, que j’ai découvert qu’elle menait des activités curatoriales et qu’elles étaient mal réceptionnées. Elle n’a pas réagi à cette question [à propos du rôle de l’artiste-curatrice] : c’est ce qui m’a convaincue de travailler ce propos. Ce propos qui n’est autre que VALIE EXPORT, non seulement artiste autrichienne, mais également curatrice. Aujourd’hui en M2, je décide de poursuivre mon travail sur la figure d’artiste-curateur•rice car j’adore le fait que des artistes puissent se créer leur propre carrière, mener des activités diverses.
La question des sources
“VALIE EXPORT et Kirsten Justesen sont toutes deux des artistes de l’avant-garde féministe des années 1970. Plusieurs de leurs œuvres font partie de la VERBUND Collection qui réunit 840 œuvres d’artistes de ce mouvement. Cette collection fait le tour des institutions depuis 2010 ; ces dernières conçoivent alors une exposition temporaire en choisissant des œuvres parmi celles de la VERBUND Collection. Pour mes recherches, j’ai pour l’instant consulté les fonds d’archives concernant VALIE EXPORT à la Bibliothèque Kandinsky, les cartons verts la concernant à l’INHA, ainsi que de nombreux ouvrages au Deutsches Forum für Kunstgeschichte de Paris, à la Bibliothèque Kandinsky et à l’INHA”.
Son mémoire de Master 1 est disponible sur Pléiades, le portail de l’Ecole du Louvre, et on peut la retrouver sur les internets : Twitter @emma_distel et Instagram @emma_dtl.
retro-source vers le futur
parce qu’on n’a pas inventé l’eau tiède en 2021 : nos “redécouvertes” et débats actuels sont souvent des réactivations de discussions antérieures, qui étaient déjà en germe ou bien ancrées chez d’autres depuis des années.
Dans cet entretien de 1952, Marie Vassilieff (1884-1957) parle argent, souvenirs et surtout d’argent. Elle se souvient de celui qui refusa de lui régler un repas lorsqu’elle tenait cantine pendant la Première Guerre Mondiale avenue du Maine (Trotsky), de celui qui voulait une poupée-portrait à son effigie mais ne la paya jamais (Apollinaire) et des autres. Elle parle ouvertement de son refus d’être naturalisée Française, de sa carrière qui ne lui permit pas vraiment de gagner de l’argent, de la misère, des conditions matérielles de création, de la précarité du monde de l’art.
merci d’avoir lu cette newsletter,
morose morisot
🎁
Disclaimer : ceci n’est pas un numéro sponsorisé.
Etel Adnan, Sans titre (La mer a gonflé son sein d’orage), texte de 1962, non daté, leporello, encre sur cahier japonais, 20 pages (extrait), coll. part., exposé au Centre Pompidou Metz en ce moment.