On ne s’est pas écrit depuis février ! De toute façon, on avait déjà passé cet accord tacite; il s’agit d’une missive irrégulière, qui s‘écrit dans les interstices de la vie. J’espère que septembre sera propice à un peu plus de rigueur dans la publication. Vœux pieux, on ne va pas se mentir.
Envoyer une newsletter en plein été, à 20h, c’est 100% la garantie de ne pas être lue. N’ayant pas de stratégie marketing, ni quoique ce soit à vous vendre en fait, je propose qu’on s’en fiche. En espérant que les deux ou trois personnes qui liront ça dans le train vers leurs vacances (je leur souhaite) ou leur lieu de travail y trouveront des pistes de réflexion.
Dans ce numéro en tout cas on ne parlera pas des rencontres photo d’Arles ni de la Biennale de Venise qui ont cette année des programmations orientées femmes artistes (qui ont l’air sympa au demeurant). Déjà parce que je n’y suis pas allée, et puis parce que c’est pas mal de regarder aussi un peu dans le retro ce qu’il s’est passé ces derniers mois dans l’histoire de l’art. Cette newsletter se veut une sorte de sismographe d’une recherche qui (se) bat, pas un Figaroscope des expos de femmes artistes dans le monde, d’autres le font très bien.
“Mais il faut pourtant que je travaille”. C’est Käthe Kollwitz qui écrit dans son journal cette petite phrase assasymphonique qui me hante depuis que je me suis mise sérieusement à l’écriture de cette thèse de l’enfer. J’éprouve enfin pleinement la difficulté d’être à la fois locomotive et wagon, moteur et fardeau.
Bref, il fait chaud et les cerveaux sont mous.
Et moi je déteste l’été.
à vif
cœurs
Ils sont sortis !! Deux ouvrages collectifs sur le sujet du genre, des musées et de l’histoire de l’art.
Médiatrices des arts. Il a été présenté le 1er juin à Paris, au 59 rue Rivoli. C’est un ouvrage auquel j’ai eu le plaisir de participer, il est dirigé par Charlotte Foucher Zarmanian, Hélène Marquié et Frédérick Duhautpas. C’est - en toute subjectivité - un ouvrage essentiel qui restitue les dernières recherches dans le domaine de l’histoire de l’art et du genre. Pour penser les artistes femmes en réseaux et collectifs, et dépasser les poncifs de pionnières et d’héroïnes. Le sommaire est ici.
Guide pour un musée féministe. J’en parlais dans ma dernière newsletter, et j’aimerais remercier toutes les personnes qui ont participé au financement, c’est grâce à vous que les autrices et auteurs ont pu être payé·es. Je suis aussi très heureuse d’avoir mon texte “Exposer les femmes artistes dans les musées français” aux côtés de contributeurs et contributrices dont je suis les travaux, parmi lesquel·les Laura Mary, Béline Pasquini et Ségolène Vandevelde de l’association Archéo-Éthique/Collectif Paye ta Truelle, ainsi que Marion Cazaux et Ennio Grazioli de l’association ARQ qui signent un texte “Acquérir et exposer les artistes queer”. Pour se le procurer il faudra attendre la rentrée pour avoir des nouvelles concernant son éventuelle réimpression et suivre l’actu de l’association musé·e·s.
aucun express
la mémoire dans les yeux
Je n’ai pas encore vu l’exposition Rosa Bonheur au musée des beaux-arts de Bordeaux (elle passe au musée d’Orsay cet automne), mais Marion Cazaux y est allée et elle raconte sa visite dans son article “Rosa Bonheur, une lesbienne au placard ?”. On lira aussi avec plaisir le testament de Bonheur dont l’édition est établie par Suzette Robichon aux éditions iXe. On se plongera dans les articles de Zoé Marty et Catherine Gonnard publiés dans le hors-série que Télérama consacre à Rosa Bonheur, artiste lesbienne qui peignait des animaux.
radar
wonder if you know
you're on my radar
Bye bye Pionnières. L’exposition Pionnières sur les femmes artistes des années 1920-1930 (en fait on ne comprenait pas trop les bornes chrono) au musée du Luxembourg (RMN) à Paris est finie depuis le 10 juillet. Pour faire le point sur cette exposition, à froid et sans langue de bois, je conseille la lecture des articles sur les carnets Hypothèses de Ennio Grazioli, Marina Deleuze, et Abel Delattre. J’ai aussi écrit quelque chose sur mon carnet, histoire d’y voir plus clair.
À l’Est, du nouveau. Un nouveau carnetier pour l’histoire de l’art et les femmes artistes au XIXe siècle : le carnet Hypothèses de Lylian Etienne, doctorant à l’Université de Lorraine, QuiDames Peintresses, histoire sociale des femmes artistes dans l’Est. “C’est un carnet de recherche orienté sur l’étude des femmes artistes de la seconde moitié du XIXe siècle. Il se destine à la publication de courts articles, de brèves et d’ébauches de réflexion en rapport de près ou de loin à l’activité artistique féminine en province et principalement en Lorraine.” Il y a déjà des billets très chouettes à lire.
La classe Christine. Natacha Aprile, doctorante à l’EHESS et à Sorbonne Université, intervient dans le podcast Passion Médiévistes pour parler de sa thèse “Troublante Christine : réseaux, genre et imagerie de Christine de Suède du XVIIe siècle à nos jours” et ça s’écoute par ici. J’avais déjà parlé de son travail dans le #5 de cette newsletter, notamment son article de 2020 « Preuve et objectivité : l’inégalité des exigences scientifiques dans les études du genre et des sexualités » qui était très intéressant.
Schiap’. En attendant de voir l’exposition Elsa Schiaparelli au musée des Arts décoratifs à Paris cet été (et jusqu’au 22 janvier 2023), on écoute la Grande Table de l’été sur France Culture (le service public <3) où sont invité·es Olivier Gabet et Elisabeth de Feydeau pour parler de Schiaparelli et de sa vie. En rose et noir.
MC à Saint-Etienne. L’exposition Marcelle Cahn (1895-1981) se finit au MAMCS à Strasbourg ce week-end mais elle sera visible au musée d’art moderne et contemporain de Saint-Etienne à partir du 15 octobre. La retrospective de cette artiste abstraite née à Strasbourg, formée à Berlin puis à Paris où elle mène sa carrière, est le fruit d’un travail commun entre les deux institutions.
chercher (sur) le feu
chercher (sur) le feu - une rubrique qui présente des travaux en cours ou achevés au croisement de l’histoire de l’art et des études de genre et d’autres disciplines. Dans les abysses des recherches enfouies, un sous-marin traque à l’aide d’un sonar les ondes inaudibles à la surface.
Reprise des portraits à la rentrée, en attendant c’est relâche :
Merci à Bérénice Billiez, fondatrice du podcast “culture.and.com”, et à Sébastien Magro de nous avoir invitées Julie Botte, Maryne Fournier et moi-même à participer à l’épisode “L'invisibilisation des femmes artistes dans les collections et les expositions des musées” en mai dernier ! Un autre épisode important et passionnant intitulé “Raconter le patrimoine et les minorités queer/LGBTI” donne la parole à Marion Cazaux, Nicolas Coutant et Bernard Hasquenoph. C’est : rafraichissant - et rare.
Un sujet qui travaille, puisqu’au SITEM édition 2022 qui se tenait fin juin au Carrousel du Louvre, Linda Hinners, Nathalie Ernoult, Julie Botte, Raphaële Martin-Pigalle et moi-même étions réunies pour discuter de ces questions dans une table-ronde “Faut-il (encore) des expositions 100 % « artistes femmes » ?”, modérée par Marie Vazzoler, co-autrice d’une enquête sur ce thème en 2021 pour l’Hebdo du Quotidien de l’Art.
retro-source vers le futur
parce qu’on n’a pas inventé l’eau tiède en 2022 : nos “redécouvertes” et débats actuels sont souvent des réactivations de discussions antérieures, qui étaient déjà en germe ou bien ancrées chez d’autres depuis des années.
En 2008, Séverine Sofio, sociologue et chercheuse au CNRS, écrivait un texte1 qui m’apparait encore parfaitement - et malheureusement - d’actualité, 10 ans plus tard : “Histoire de l’art et études genre en France : un rendez-vous manqué ?”.
De là d’où je parle j’ai cette impression en 2022 que c’est pire qu’un rendez-vous manqué, qui est à ce stade plutôt un impressionnant lapin posé depuis au moins les années 1970 par les institutions universitaires françaises en histoire de l’art, à quelques exceptions près. Je recommande vraiment la lecture de ce texte qui donne à voir le danger d’un naufrage annoncé de la discipline de l’histoire de l’art (par l’absence notamment de l’agrégation), le rejet et la méconnaissance institutionnels des études de genre dans ce domaine.
“Il est intéressant de noter que les thèses « genre » menées en histoire de l’art portent majoritairement sur des sujets relevant soit de l’art antique, soit de domaines plus ‘neufs’ de la discipline (arts contemporains, arts du spectacle, photographie). Néanmoins, les rares fois où elles traitent des domaines plus ‘traditionnels’ de la discipline (peinture française ou italienne de la Renaissance à l’âge classique, art français du XIXe siècle…), ces thèses sont le plus souvent dirigées par des professeurs extrêmement connus – comme si faire une thèse avec une personnalité reconnue dans le champ de l’histoire de l’art permettait de compenser la nature marginale et peu légitime du sujet. L’idée que le genre est un domaine où la non-spécialité, associée à une forte légitimité dans le champ, est garante de scientificité, persiste là encore”.
À lire !
merci d’avoir lu cette newsletter,
morose morisot
Je remercie Mathilde Leïchlé et Samy Lagrange de m’avoir rappelé son existence lors d’une pause café à l’INHA en mai 2022.